Giacomo Meyerbeer (1791 – 1864), compositeur du grand opéra
1re image: Soirée; 2e: litho par Vogt (1849); 3e: litho Desmaisons/Nadar (1857); 4e: caricature par Étienne Carjat (1858).
Jakob Liebmann Beer manifesta une précocité musicale comparable à celle de Mozart. Dès l’âge de quatre ans, il reproduisait des mélodies de la main droite tout en s’accompagnant de la gauche. Son père, industriel fortuné, consacra d’importants moyens à son éducation musicale. Son grand-père maternel, Meyer, fut si impressionné qu’il lui légua une fortune considérable à condition qu’il adopte son nom — d’où le nom composé Meyerbeer.
Meyerbeer est représenté ici en discussion avec son librettiste le plus prolifique, Eugène Scribe74.
Leur collaboration sur l’opéra mélodramatique Robert le Diable (1831) leur valut une célébrité immédiate. L’œuvre fut jouée 470 fois du vivant de Meyerbeer.
Frédéric Chopin écrivit : « Si jamais le faste a régné dans le théâtre, je doute que l'éclat qu'on a vu dans Robert ait atteint son niveau. C'est un chef-d'œuvre... Meyerbeer s'est immortalisé. »
Souvent en proie à l’insécurité, Meyerbeer composait ses opéras en fonction des capacités des meilleurs interprètes pour garantir leur succès. Le rôle de Robert fut conçu pour le ténor Louis Ponchard25, avec un duo permettant de mettre en valeur sa capacité à atteindre le contre-ré. Selon Hector Berlioz, il rémunérait même des critiques pour obtenir des avis favorables — une pratique qui anticipe les stratégies promotionnelles modernes.
Ses opéras suivants, Les Huguenots (1836) et Le Prophète (1849), également coécrits avec Scribe, connurent un succès comparable. Dans Le Prophète, artistes vedettes Gustave Roger04a et Pauline Viardot interprétait les rôles de Jean de Leyde et de Fidès, mère de Jean, des rôles qui enthousiasmèrent les publics européens.
litho par Valentin (1849)
Le 10 décembre 1852, lors d’un vendredi-soirée chez de Nieuwerkerke16, le pianiste Adolphe Fumagalli (video) interpréta sa fantaisie pour main gauche sur des motifs de Prophète, œuvre dédiée à Liszt. Meyerbeer prédit sa célébrité, mais Fumagalli mourut prématurément en 1856 à l’âge de vingt-sept ans. Le succès de cette soirée aurait incité le discret Meyerbeer à assister à celle du 17 décembre 1852.
Ce jour-là, Meyerbeer note dans son journal une visite matinale chez le facteur d’orgues Édouard Alexandre, accompagné de l’organiste Lefébure-Wély29 pour examiner une invention permettant de maintenir certaines notes sans les tenir : la pédale de sostenuto. Le soir, il rejoignit des invités tels que le « charmant petit virtuose » Georges Bizet et le violoniste Jean-Delphin Alard15.
Ce fut sa seule participation à une vendredi-soirée. Giraud11 ne réalisa pas de caricature de lui. Meyerbeer vivait alors à Berlin, travaillant sur L’ Étoile du Nord (1854), nouvelle collaboration avec Scribe. Il est peu probable qu’il ait posé pour Une Soirée dans l’atelier de Biard36; l’image semble être une copie maladroite de lithographies de Kriehuber (1847) ou Vogt (1849). La cravate rouge ajoutée au portrait indique la rare distinction reçue en 1849 : Meyerbeer fut le premier Prussien nommé Commandeur de la Légion d’Honneur.
Son dernier opéra, L’Africaine (joué après sa mort en 1865), connut encore le succès, mais souffrit de la baisse de qualité des livrets de Scribe et de révisions incessantes. En 1866, Bizet écrivit dans une lettre qu’il s’agissait d’un « immonde tas de notes ».
L’anxiété de Meyerbeer allait jusqu’à l’obsession du détail. Craignant d’être enterré vivant, il laissa dans une lettre scellée à ouvrir après sa mort des instructions précises : son corps devait rester intact, le visage découvert, pendant quatre jours avant toute cérémonie funéraire. Deux gardes devaient surveiller d’éventuels signes de vie, et des clochettes devaient être attachées à ses mains et pieds pour les alerter en cas de mouvement.
Son journal (Briefwechsel und Tagebücher), connu à sa mort, ne suscita l’intérêt éditorial qu’à partir de la seconde moitié du XXe siècle. L’antisémitisme, déjà perceptible dans l’essai de son ancien protégé Richard Wagner « Das Judenthum in der Musik» (1850), s’intensifia par la suite, jusqu’à l’interdiction de ses œuvres par les nazis. Ses opéras spectaculaires, avec effets scéniques complexes comme des navires coulants, furent négligés jusqu’à la fin du XXe siècle.
Avec environ 75 000 auditeurs mensuels sur Spotify, Giacomo Meyerbeer n'est plus le compositeur d'opéra immensément populaire qu'il était entre les années 1820 et 1860, mais une représentation de Robert le Diable a eu lieu à Bruxelles en 2019, et une version concert du Prophète est prévue au Théâtre des Champs-Élysées à Paris les 27 et 28 mars 2026.
