Eugène Isabey (1803 - 1886), peintre de marines et de paysages
1re image: Soirée; 2e: photo Nadar (1860); 3e: photo Receuil. Celebr. (c.1860); 4e:caricature par Giraud (1868); 5e: par Jean Isabey (1821); Video Youtube.
Le caricature de Louis Gabriel Eugène Isabey par Giraud11 présente une ressemblance convaincante avec le personnage figurant dans Une Soirée. Un dessin familial de 1821, par son père Jean-Baptiste Isabey52, intitulé « mon fils, mon élève, mon ami », montre déjà le jeune Eugène muni d’une chevelure épaisse et bouclée.
La réussite d’Isabey sur la scène artistique depuis les années 1830 et son large réseau aristocratique laissent supposer qu’il figura parmi les invités permanents aux vendredi-soirées organisées par de Nieuwerkerke. Horace de Viel-Castel43 note la présence de Jean Isabey, alors âgé de quatre-vingt-sept ans, au vendredi 7 novembre 1852; Eugène l’accompagnait ordinairement à ces soirées. Au début de la même année, père et fils Isabey, ainsi que de nombreux protagonistes représentés dans Une Soirée (notamment Auber56, Augier53, Delacroix10, Halévy19, Muller18, Mérimée54, de Nieuwerkerke16, Viollet-le-Duc40a), assistèrent au dîner où de Morny48 annonça sa démission comme Ministre de l'Intérieur . La même année, Eugène fut nommé officier de la Légion d’honneur et fit don au Louvre d’un portrait de famille peint par Gérard, circonstances qui expliquent sa présence probable à plusiers vendredi-soirées. La caricature de Giraud représentant Isabey date d’un après-soirée beaucoup plus tard, le 13 mars 1868.
La maison de Jean Isabey servit pendant de longues années de lieu de rassemblement pour les artistes. L’intimité de son père avec la famille Bonaparte et la cour royale permit au jeune Eugène, d’un tempérament très sociable, d’entrer tôt en relation avec les milieux d’élite. Malgré des leçons de dessin et de gravure dispensées par son père et des études au Louvre, le jeune Eugène témoigna d’un intérêt modéré pour une carrière d’atelier traditionnelle. Il aimait ramer, apprit à naviguer et rêva un temps de devenir marin ou officier de marine. Un séjour au Havre avec son père le fascina par les effets de lumière sur la mer et le rivage; il commença à exécuter des croquis côtiers et des aquarelles conciliant son goût de la mer et la vocation paternelle. Ses relations familiales lui permirent d’exposer au Salon en 1824, où il obtint une médaille de première classe en peinture de marine.
Il se lia d’amitié avec Delacroix et Richard Bonington (né en Angleterre) et voyagea avec eux en Angleterre en 1825 pour étudier William Turner et les aquarellistes anglais. Là où Delacroix retint la grandiloquence picturale des Anglais, Isabey privilégia l’exactitude du détail.
Le vaste réseau social d’Isabey lui assura une clientèle étendue et de nombreuses commandes, surtout pour les marines. Ses paysages et ses études d’intérieur très détaillées furent particulièrement recherchés par les collectionneurs privés. Viel-Castel se plaint dans ses Mémoires des importantes commandes, l’une évaluée à 6 000 francs, que de Nieuwerkerke confia à Isabey, rémunérations qui soulevèrent parfois des critiques quant à l’emploi des fonds du Louvre. Pour la défense d’Isabey, certaines toiles atteignirent des dimensions monumentales, parfois autour de trois mètres. La représentation du combat naval du lac Érié (1840) fut réalisée en collaboration avec son élève Morel-Fatio63; l’œuvre porte les deux signatures. Sa localisation actuelle est inconnue.
par Vernet (c.1825)
Isabey et Morel-Fatio pratiquaient le croquis depuis de petites embarcations autour de Paris, s’arrêtant fréquemment pour dessiner en plein air, pratique qui marque une rupture avec la seule production d’atelier. Isabey devint un rameur accompli et fut surnommé « amiral du lac » à Enghien. Sa maison au bord du lac jouxtait celle de Frédéric de Reiset65, conservateur du Louvre et maire d’Enghien-les-Bains; la princesse Mathilde et de Nieuwerkerke résidaient non loin, à Saint-Gratien. Isabey et de Nieuwerkerke naviguaient ou ramaient régulièrement ensemble. Horace Vernet31, dont l’atelier était proche, caricatura Isabey en hibou « branchée » après avoir remarqué la chaumière d’Isabey perché sur quatre troncs de peupliers des bords
du lac; cette caricature fut acquise plus tard par le conservateur de Chennevières20. Vernet, Isabey et Morel-Fatio furent parmi les fondateurs de la Société des Régates du Havre (SRH) en 1839.
Souvent considéré comme l’héritier de Vernet pour la peinture de marines, Isabey constitue aussi un lien entre le néoclassicisme académique (par exemple Ingres39) et les sensibilités qui annoncent l’impressionnisme. Bien qu'Isabey ait pratiqué le croquis en plein air, l'innovation technique ultérieure de la peinture en tubes d'étain (inventée en 1841 par l'Américain John Rand, vivant en Angleterre) a contribué à rendre la peinture à l'huile sur place plus accessible aux impressionnistes.
Les jurys du Salon et les commandes publiques favorisaient encore les modes romantiques et académiques. En 1863, Isabey se joignit à quelque 180 peintres, dont Delacroix et Camille Corot, pour adresser une requête à de Nieuwerkerke en faveur d’une plus grande admission d’œuvres contemporaines au Salon; la pétition réclamait la révision rapide du refus opposé à plus de six mille œuvres et amena Napoléon III à accorder des locaux supplémentaires dans le Palais de l’Industrie. Cet épisode participa à la genèse du Salon des Refusés.
Si Isabey est surtout célèbre pour ses marines, il s’illustra également dans les intérieurs et les paysages; ses dessins et aquarelles demeurent recherchés par les collectionneurs.
Voir le lien vidéo ci-dessus pour des exemples de son travail.

