Jean-François Bougenel (1786 – 1865), général

1re image: Soirée; 2e: L’Illustration (c.1850); 3e: Receuil Militaires (c.1855); 4e: caricature par Giraud (1860); 5e: par Maujean (c.1860).

L’un des seize hommes arborant le grade élevé de Grand Officier dans Une Soirée, le général Jean François Bougenel observe silencieusement la scène depuis le côté. Il reçut une invitation permanente aux vendredi-soirées, conjointement avec le maréchal Magnan67 (se tenant à proximité), et y assista pour la première fois le 9 janvier 1852. À partir d’octobre 1853, Bougenel fut désigné chevalier d’honneur de la princesse Mathilde Bonaparte (cousine de l’empereur et maîtresse du comte de Nieuwerkerke) ; la princesse aurait écouté certaines de ces soirées strictement masculines depuis le petit salon de droite, derrière un rideau et le buste de l’impératrice Eugénie appartenant à de Nieuwerkerke (février 1852). Eugène Giraud11 caricatura Bougenel, en grand uniforme et avec des signes de calvitie, le vendredi 27 avril 1860.

caricature par Eugène Giraud (1860)

Bougenel était d’origine modeste. D’après le journal de Viel-Castel43, son père était un gargotier, ce qui explique peut-être l’entrée précoce du jeune Bougenel dans la marine à quatorze ans, puis son admission à l’école militaire de Fontainebleau à dix-huit ans pour devenir officier de cavalerie. Sa carrière le conduisit sur le front oriental —où il fut capturé par les Russes en 1813— à Waterloo en 1815, à Lille comme commandant en 1838 pour maintenir la présence française durant le conflit entre la Hollande et la Belgique, et dans la région de Strasbourg en 1849 pour contenir l’activité militaire prussienne. Il gravit régulièrement les échelons jusqu’au grade de général.

Bougenel ne semble pas s’être montré particulièrement intéressé par les divertissements musicaux ou théâtraux des vendredi-soirées et il ne prend pas part aux discussions animées des artistes et comédiens proches tels qu’Isabey75 et Régnier77. Son principal apport aux arts paraît avoir été son soutien au soldat-sculpteur Auguste Clésinger, rencontré lors d’une inspection à Haguenau.
Clésinger, entré dans l’armée en 1838, passait beaucoup de temps à croquer ses camarades (une franc par feuille) et à dessiner les casernes plutôt qu’à accomplir ses fonctions militaires. Le paternaliste Bougenel reconnut le talent artistique de Clésinger et son manque d’aptitude militaire, et l’autorisa à se rendre à Paris pour vivre de son art. Clésinger (qui devint célèbre pour ses sculptures naturalistes, pour avoir modelé la main gauche de Chopin et pour son bref mariage avec Solange, la fille de George Sand) rendit service à son ancien commandant en exécutant un buste le représentant (dont le sort est aujourd’hui inconnu).

Comme de Nieuwerkerke16, le comte de Morny48 et le ministre Fould17, Bougenel aimait profondément les chevaux. Une fracture du bras provoquée lorsque sa monture trébucha en juillet 1841 l’incita sans doute à siéger à un comité chargé de réduire la mortalité équine en améliorant les conditions des écuries et la santé des animaux. À l’époque, le cheval était le seul moyen de transport de l’armée ; par la supervision et la modernisation des constructions d’écuries, de la qualité du fourrage (verts et foins) et de l’approvisionnement en eau, du ferrage ainsi que des soins médicaux aux animaux malades (envisageant même l’homéopathie), Bougenel et son comité firent passer la mortalité équine dans l’armée de plus de 115 pour mille à 27 pour mille en vingt ans. En décembre 1850, Bougenel reçut la Légion d’honneur au deuxième degré, Grand Officier, distinction visible sur l’insigne figurant dans Une Soirée.

En octobre 1853, Viel-Castel note dans son journal : « [Le chevalier d’honneur de la princesse Mathilde] est un bon et brave général nommé Bougenel, fort familier de la poudre, mais qui ne l’a pas inventée. »
Bougenel prit plaisir à ce rôle de chevalier d’honneur. Il séjournait régulièrement au château de la princesse à Saint-Gratien, l’accompagnait en Italie et à Belgirata sur le lac Majeur (où elle acquit villa Malgirata en 1861) et la représentait lors de cérémonies publiques, depuis les obsèques de l’architecte Visconti09 en décembre 1853 et celles de Boulay38a en 1858 jusqu’à l’inhumation du comte de Morny48 en mars 1865.

Caserne Bougenel, Belfort (c.1906)

Le froid de ces obsèques aurait peut-être favorisé la pneumonie qui l’emporta à soixante-dix-huit ans après une courte maladie.
La princesse Mathilde écrivit de lui dans ses Mémoires:
« Le général avait toutes les bonnes qualités, était toujours à son poste et gardait admirablement sa place. Pendant toutes les années qu’il m’a accompagnée comme chevalier d’honneur, le brave homme ne m’a jamais, une seule fois, marché sur le traîneau. »
Seule une caserne (démoli en 1976) et un quartier de la ville de Belfort conservent le nom de Bougenel comme souvenir public de sa carrière.