Frédéric Villot (1809 – 1875), historien de l’art, conservateur, administrateur
1re image: Soirée; 2e: par Rodakowski (1854); 3e: par Giraud (c.1860); 4e: par Delacroix (1832).
Le directeur général, le comte de Nieuwerkerke16, possédait la vision artistique, le charisme et un réseau au niveau impérial. Ce qui lui manquait —et à quoi il ne prétendait pas— étaient les tâches pratiques de gestion et d’entretien des musées. Pour cela, il s’entoura d’un groupe d’élite de collaborateurs. Avec Viel-Castel43, Morel-Fatio63, et Reiset65 présents dans Une Soirée, leur supérieur Frédéric Villot, bien que non identifié dans la gravure de Dayot (1900), devait également s’y trouver. La caricature d’Eugène Giraud11 et un portrait de 1854 par Henri Rodakowski —que Delacroix jugea peu ressemblant— correspondent à Marie Joseph Frédéric Villot, chef du département des peintures du Louvre. Sa présence est attestée le 28 mars 1851 et le 10 décembre 1852, mais en tant que conservateur il était attendu à nombre de ces soirées.
par Eugène Giraud (c.1860)
Alliant les qualités d’historien de l’art et de bureaucrate né, avec une origine familiale distinguée et un mariage avec Pauline Barbier, la coquette fille d’un baron, Villot était exactement l’homme dont de Nieuwerkerke avait besoin. L’inspecteur des beaux-arts Chennevières20 écrivit dans ses mémoires :
« Je n'ai, de ma vie, rencontré personnalité plus personnelle, plus naïvement égoïste et oublieuse d'autrui, et aussi plus inoffensive que celle de ce pauvre Villot. […] Il avait tout fait, il avait tout inventé, il avait tout écrit, il savait tout. »
Au Louvre, Villot joua un rôle essentiel dans l’établissement et la publication des catalogues des tableaux, permettant enfin au public de mieux connaître les œuvres et leurs auteurs. Il collabora avec Clément de Ris26b pour améliorer la sélection des Salons annuels (dont il était souvent membre du jury), a réuni les œuvres éparses d'un même maître, et fut déterminant dans l’acquisition de chefs-d’œuvre flamands et italiens auprès du roi de Hollande en 1850.
Né à Liège, l’élégant mondain Villot prétendait descendre de l’actrice Adrienne Lecouvreur et de Maurice de Saxe, maréchal général de France, revendiquant ainsi un lien familial avec George Sand. La première affirmation était exacte : par sa lignée maternelle il était lié à la fille d’Adrienne, Françoise Couvreur (1714–1768). La seconde était fausse : au moment de la naissance de Françoise à Strasbourg, Maurice de Saxe n’avait que dix-sept ans et servait dans l’armée saxonne. Il eut cependant avec Adrienne une relation passionnée dans les années 1720, qui se termina par sa mort tragique et suspecte. Les dramaturges Scribe74 et Legouvé exploita cette romance dans une pièce en cinq actes qui connut un succès spectaculaire au Théâtre-Français lors de la création de Une Soirée, avec Rachel81, Régnier77, et Samson80. Cela explique la position de Villot à leurs côtés.
Malgré ces liens anecdotiques, George Sand et Pauline Villot s’adoptèrent comme cousines et restèrent amies toute leur vie.
Villot résidait à Champrosay, sur la Seine au sud-est de Paris. Il rencontra le peintre Delacroix10 lorsqu'il acheta son œuvre L'Assassinat de l'évêque de Liège (ville natale de Villot) (1829), et ils devinrent des amis proches.
Est-ce un hasard si Villot et Delacroix semblent se regarder directement à travers le salon d'Une Soirée?
Champrosay était le lieu préféré de Delacroix pour séjourner et dessiner. Son journal révèle son affection pour Pauline, réciproque, qui a probablement débuté peu après que Villot l'eut présentée à Delacroix après leur mariage en mai 1831. Elle était tenue au courant de ses déplacements lors de son voyage au Maroc en 1832.
Delacroix réalisa plusieurs portraits de Pauline, qui lui servit également de modèle pour d'autres œuvres.
En 1833, ils se représentèrent mutuellement en costume oriental. Les romantiques remarquent la signature énigmatique de Delacroix « 2 la [note de musique] + » (Deux la croix) sous son dessin, et la signature de Pauline à l'emplacement du cœur de l'artiste.
Tandis que Delacroix passait du temps, très amicalement, avec Pauline, son mari séjournait à Venise pour se remettre du choléra et étudier les maîtres italiens Véronèse et Tintoret.
En 1844, Delacroix loua une cabane près de Villot, qu’il acheta plus tard.
Au fil des années, leur engouement de jeunesse s'est transformé en une amitié durable. Les journaux de Delacroix contiennent plus de références à Villot et à sa femme qu'à tout autre ami.
Villot était aussi un mélomane érudit et poursuivi des études musicales et de composition avant de devenir conservateur. Jules Pasdeloup12, pianiste et compositeur chargé des événements musicaux des vendredi-soirées de Nieuwerkerke, lui dédia son deuxième quatuor pour deux violons.
Une rencontre fortuite avec Richard Wagner donna naissance à une amitié au cours de laquelle Villot assuma la traduction française des opéras du compositeur. Les historiens de la musique apprécient la lettre de Wagner (Zukunftsmusik – « la musique de l’avenir », 1860) adressée à Villot, où il décrivait l’évolution de ses conceptions sur l’opéra.
C’est Villot qui présenta au compositeur le jeune Camille Saint-Saëns, qu’il avait invité à jouer pour lui des œuvres de Wagner. Le 13 mars 1861, l’opéra Tannhäuser de Wagner, soutenu par le ministre Fould17, jouée devant un public conservateur habitué aux opéras pompeux de Meyerbeer fut un désastre.
La confiance de Villot en ses compétences et son désir de restaurer les surfaces obscurcies de ses maîtres favoris, Véronèse et Rubens, le conduisirent à faire enlever leur vernis ce qui, malheureusement, élimine la peinture incrustée et détruisant leur éclat.
La presse fut impitoyable, l'accusant d'avoir « villotiner » ces œuvres d'art, d'avoir mortellement blessé plusieurs Titans et d’avoir « tué » le Repas de noces à Cana de Véronèse.
Viel-Castel écrivit : « Lorsque Villot décide des restaurations, on y procède comme on pourrait le faire à la lessive du linge des invalides. »
La Chronique des Arts déclara : « Il a fait à ces peintures ce que Viollet-le-Duc a fait à Notre-Dame » — Viollet-le-Duc40a étant connu pour « restaurer les édifices dans un état qui n’a jamais existé. »
Lorsque Delacroix découvrit que Villot avait traité son Scènes de massacres de Scio (1824) de la même manière sans l’en avertir, il exigea que les artistes conservent toujours le droit de retoucher eux-mêmes leurs œuvres.
À la suite de cette publicité négative pour lui et pour le Louvre, Villot dut démissionner en 1861. Son collègue conservateur Reiset prit sa place.
De Nieuwerkerke lui vint en aide en le « promouvant » à un poste sans pouvoir de secrétaire général, où il supervisa les budgets jusqu’à ce que sa santé déclinante l’oblige à cesser. Il mourut en mars 1875, un mois après Pauline.
